janvier 24, 2022

Prix aux lauréats French Design 100

Par Sandra Biaggi

Extrait de l’annonce et remise des Prix aux lauréats French Design 100
Palais de l’Élysée, le jeudi 20 janvier 2022

Tout a été dit. Par définition ne sont invités que les membres du jury et les primés, donc il n’y a plus aucun suspens. Evidemment, nous aurions voulu inviter beaucoup plus de monde pour pouvoir célébrer celles et ceux qui sont reconnus leurs pairs […]  D’abord, je tage vos « en même temps » et je pense que ce que vous représentez – et ce pourquoi c’était à mes yeux très important que vos 100 lauréats, que votre initiative soit présente aujourd’hui – c’est exactement celac’est que dans des temps où fois la France se cherche, et où on nous sommerait de choisir entre aimer la France et vouloir se fermer au monde, et aimer le monde et donc vouloir dissoudre la France, on a le droit de revendiquer haut et fort qu’on peut avoir des grands talents français qui rayonnent à travers le monde et qui y sont appréciés. Et devinez quoi ? C’est même précisément ce qui fait cet esprit français. 
Vous avez, cher Philippe Starck, faitement dit comment, au fond, c’est le mariage de Descartes et des romantiques ; l’esprit de méthode, cette exigence de la précision et de créativité extrême. C’est aussi un amour de l’enracinement et de l’universel qui caractérise la France, et qui est je crois assez inédit, et ce qui fait que tant et tant de citoyens du monde y viennent, en reconnaissent les talents ou sont heureux de les accueillir. En effet, le design français, discipline si complexe à définir – qui d’ailleurs, vous l’avez un peu évoqué, cher Hervé [Lemoine, ndlr], Monsieur le directeur [du Mobilier National, ndlr], a fois connu des conflits avec certains autres métiers, certaines autres disciplines, mais est bien là en ce qu’elle agrège tant et tant de compétences, de talents, et a quelque chose évidemment à voir avec nombre de métiers d’arts – je crois est au cœur de cette tension. L’enracinement et l’universalisme. Ce formidable esprit français qui rayonne au monde. C’est pour cela aussi, pour toutes ces raisons, que je voulais que vous puissiez être là, aujourd’hui, et célébrer.
Je veux remercier Monsieur Lemoine pour les mots qu’il a eus et l’engagement qui a été le sien, ce qu’il a faitement décrit l’esprit dans lequel cette sélection s’était faite, et combien elle correspond à la politique qui est conduite et à ce en quoi nous croyons.  En effet, les images que nous venons de voir en témoignent, il y a des sensibilités, des styles, des visions extraordinairement différentes, au croisement de plusieurs secteursl’ameublement, l’architecture, les arts de la table, le design intérieur, la décoration et j’en passe. Ce qu’avant on appelait les arts décoratifs a ainsi progressivement changé de nom, ce qu’au-delà de la dimension décorative, votre métier irrigue bien tous les champs du quotidiende l’industrie à l’aménagement du territoire, des transports à l’école, du numérique au lieu de vie. Au fond, je vole le mot de Charlotte Perriand, tout ça ce que votre métier n’est pas de « faire un objet. Le sujet c’est l’homme, ce n’est pas l’objet ! » Je crois que c’est vraiment ce qu’il y a derrière le travail de chacune et chacun d’entre vous, ce qui fait de vous des artistes irremplaçables.   
[…] à chaque fois qu’un designer intervient, ce sont des solutions innovantes, esthétiques, fonctionnelles qui sont trouvées […] C’est cet esprit que nous avons développé, renforcé, systématisé.   
Nous avons aussi créé le Conseil national du design, nouvel espace de dialogue et de concertation pour accompagner la structuration de la filière, en assumant totalement, comme vous le disiez président, cet « en même temps », et donc structurant la filière, éclairant ses réflexions, attentes artistiques ou créatives, elles n’ont pas à être structurées celles-ci, mais sociétales, environnementales et économiques. Parce que là, il y a des synergies qui peuvent être tirées, ce que là il y a des choses à structurer.   
Je veux ici remercier la ministre de la Culture et son collègue de l’Economie et des Finances qui ont concrétisé cet élan dans le sillage des Assises du design organisées en 2019, et saluer l’arrivée de Sandra Rey à la présidence de ce Conseil. 
[…] Je veux aussi dire combien ce que vous représentez a de sens dans le moment que nous vivons et au regard d’autres initiatives qui ont été lancées. En effet, au cœur de la crise, nous avons lancé une stratégie de commande publique. Alors à l’époque, ça a fait un peu peur, je dois bien le dire. Les gens pensaient que j’étais un peu monarchique, le pire a été envisagé en disant « il va refaire des commandes publiques » etc. C’était l’époque où on lait de chevaucher le tigre, au cœur de la crise sanitaire. J’assume totalement. Il faut donner de l’espoir et de l’impulsion dans ces périodes. On a fait exactement l’inverse, c’est-à-dire qu’on a créé de la commande publique, mais qui n’est pas décidée une seule personne. On a lancé cette initiative « Mondes Nouveaux », que Bernard Blistène a accepté de piloter, avec un comité venant de toutes les disciplines et qui a sélectionné plusieurs centaines de projets. Je crois qu’il y en a en ce moment 250 qui restent, avec une enveloppe budgétaire dans le cadre de France relance, conséquente, que la ministre a acté, pour faire fleurir tout sur le territoire des projets avec beaucoup de designers et designeuses, avec des artistes de tous secteurs, en lien d’ailleurs avec beaucoup d’autres établissements publics. Je pense en ticulier au Conservatoire du littoral et au Centre des monuments nationaux qui ont offert leurs lieux à ces artistes pour les réinventer. Une quarantaine de projets vont fleurir ainsi tout sur le territoire. Je pense à celui de la souffleuse de verre Eve George, qui va créer un lustre au Château de Bussy Rabutin, à celui de Frédéric Bonin, qui va recycler les déchets plastiques de fonds marins pour les transformer en mobilier, ou encore à celui de Samy Rio, qui va travailler autour du bambou dans les Cévennes. Vous êtes là, et tout ça pour vous dire que cette commande et ces « Mondes Nouveaux » sont aussi ceux du design français, dont l’objectif est de réinventer nos paysages et nos usages.  
Partout depuis 2017, le design est là et il n’a jamais été aussi présent dans cette maison. Mon épouse y a mis son cœur et son engagement – et sa patience en ce qui me concerne. Elle a beaucoup œuvré en lien avec plusieurs d’entre vous pour que cette maison puisse aussi accueillir le design contemporain. La salle des fêtes – Hervé l’a évoqué, où nous sommes – a été entièrement réinventée Isabelle Stanislas, que je suis heureux de voir récompensée votre prix et qui a passé de longs mois ici, et c’est pour nous un formidable souvenir. Récemment, l’escalier d’honneur a été magnifié Nathalie Junot Ponsard, qui a conçu avec les ateliers d’Aubusson une œuvre tapis intitulée « Odyssée », et donc le tapis rouge que vous voyez en arrivant a été transformé. Pierre Bonnefille a lui travaillé avec l’atelier de tapisserie-décor du Mobilier National pour concevoir des voilages dorés qui jouent avec la lumière.   
Chaque fois que possible, nous installons des pièces de mobilier de jeunes talents. Je ne serai pas exhaustif à coup sûrPierre Renart, dont vous avez pu percevoir la table « Eclosion » lors de mes vœux le 31 décembre 2020 ; Valentin Loellmann, dont un bureau a été acquis dans le cadre d’un des volets du plan de relance destiné aux designers et galeries impactés la crise sanitaire. Pour ma t, je passe mes jours et mes nuits, entre autres, entre Thierry Lemaire, Patrick Jouin, Ora Ïto et Philippe Starck, qui croisent le chemin de Vasarely et Pierre Soulages. C’est bien comme compagnie ! Dans quelques semaines, nous installerons la nouvelle table du Conseil des ministres, Madame la ministre de la Culture, conçue l’atelier de recherche et de création du Mobilier National, le fameux ARC que j’évoquais tout à l’heure, suite à un concours remporté quatre brillants étudiants de l’Ensaama Olivier de Serres. Je suis très fier. C’est un travail très sérieux avec un jury qui a été conduit avant crise. Les choses vont continuer de changer.  
Le design est là aussi au cœur de notre Présidence Française de l’Union européenne. Je veux aussi le saluer, en rappeler l’importance, ce que c’est exactement dans l’esprit de votre concours. Un concours a été lancé pour repenser l’aménagement des deux bâtiments du Conseil de l’Europe. C’est ainsi que la Présidence Française a pu s’ouvrir au début du mois avec une magnifique installation textile des Ateliers Adeline Rispal et de l’agence graphique « Studio Irrésistible », aux couleurs des 27 pays de l’Union européenne. Cette œuvre appelée « l’étoffe de l’Europe » est absolument sublime. C’est une ambitieuse métaphore des liens qui unissent cette Europe humaine et solidaire que nous défendons. Elles dialoguent avec de nouvelles pièces d’ameublement qui ont été issues des collections du Mobilier National, signées Philippe Nigro, on l’a vu tout à l’heure d’ailleurs, et qui avait été exposées au moment du Fabriqué en France, et la maison Ligne Roset dans le cadre de cette politique que j’évoquais tout à l’heure, Olivier Gagnère ou encore Maximum, un collectif qui mène un travail exemplaire, en produisant du mobilier de grande qualité, fabriqué en France, entièrement recyclé, à tir de chutes de production industrielle. Nous continuerons cette cavalcade avec la Triennale de Milan en mai prochain, où la France présentera un projet porté le designer Pablo Bras, qui cherche à explorer comment habiter l’instable – ce qui me semble être un thème d’actualité.   
Comme vous l’avez évoqué aussi, cher Hervé, je finirai sur ce point, nous continuons également de promouvoir ce design français tout dans le monde à travers notre réseau, le réseau diplomatique français, les instituts, Business France. A New York, exemple, notre réseau diplomatique se mobilise dans la continuité de son programme Oui Design pour développer la présence de designers français outre-Atlantique. Un tenariat avec le Mobilier National a été fait pour les nouvelles résidences, dont la Villa Albertine, avec expositions, collaborations. Vous êtes ailleurs nombreux à développer des projets audacieux en Asie et vous évoquiez ces deux géographies à juste titre, alors même que la crise sanitaire impacte fortement cette région. C’est pourquoi j’étais aussi très heureux que le prix French Design vienne récompenser Patrick Jouin et Sanjit Manku pour un restaurant à Bangkok, ou Tristan Auer pour un hôtel à Honk Kong, ou encore Jakob & Macfarlane pour une boutique à Shanghai qui se transforme en théâtre, ce qui montre que l’ambition se poursuit dans ce continent ô combien essentiel et, si je puis dire, si proche de nous en termes d’imaginaire et de liens artistiques. Cette visibilité est absolument essentielle. Ce que vous contribuez à porter, celle de faire ainsi rayonner à travers le monde nos traditions, nos savoir-faire, nos décorateurs, nos designers, nos artisans à l’étranger et dans toutes les géographies.   
Alors, à l’invitation du VIA, 40 personnalités françaises et étrangères ont établi les dix valeurs qui, à leurs yeux, définissent le mieux le French Designart de vivre ; créativité́ et industrie ; élégance et luxe ; innovation durable ; audace ; savoir-faire ; équilibre ; héritage ; ouverture culturelle et enfin panache. J’en suis persuadé, c’est cet équilibre entre la force de nos traditions qu’on trouve dans ses valeurs (« l’héritage », « l’art de vivre » …) – et la liberté de nos imaginaires (« l’audace », « le panache », « l’ouverture » …) qui constitue cet ADN que j’évoquais en commençant mon propos.   
En vous retrouvant ici, c’est évidemment le bonheur d’être là et de redonner à ces lieux, juste à côté aussi de ce Jardin d’hiver que Daniel Buren a complètement réinventé avec un talent inouï et la complicité d’Ora Ïto pour créer ce drapeau français qui ainsi s’étend et reflète les jeux de lumière tout au long de la journée, c’était conclure deux messages. Le premier, c’est que je suis convaincu que vous avez un rôle irremplaçable pour notre jeunesse. Nous célébrons aussi ici beaucoup de formidables artistes qui ont déjà une carrière, pour beaucoup d’entre vous, extraordinaire.
Je veux aussi en vous mettant en lumière, pouvoir faire passer le message à nos jeunes que vos métiers, et tous les métiers qui y sont liés d’ailleurs, comme c’était évoqué, sont d’extraordinaires métiers d’avenir où on peut s’épanouir. Parce que ce sont des métiers de sens où l’on transforme des lieux, des espaces, des objets, où on réinvente des usages et des usages du monde. Je crois pouvoir dire en votre nom, pour tie aussi, ce que sans doute, je suis jaloux de cela, que vous, vous voyez très bien ce que donne votre travail. Et ça, je peux vous dire que c’est une chance incommensurable. C’est-à-dire, il y a des gens heureux – alors ça peut ne pas plaire – mais il y a des gens heureux qui vont utiliser ce que vous faites et pouvez dire « ça, c’est moi qui l’ai fait, regardez, j’ai transformé ce lieu ». Il y a d’autres métiers, c’est fois plus difficile, en tout cas plus instable, plus précaire, fois plus lointain. Je crois que notre jeunesse qui cherche à juste titre du sens, elle en a dans ces métiers, dans vos métiers et dans tous les métiers d’art qui y sont liés. Parce que ce sont des métiers de tradition qui ne s’apprennent pas simplement dans les livres, mais au contact, au hasard de la vie et à la passion et la transmission que vous allez accepter de leur donner. Mais ce sont aussi des métiers qui permettent de réinventer les choses et où le sens de ce qu’on fait est tangible. Donc l’engagement que toutes et tous pourrez apporter à notre jeunesse – j’étais tout à l’heure à 19M, formidable lieu où on a vu 600 artisans de tous ces métiers d’art – tout ce que vous pouvez apporter à notre jeunesse pour la convaincre, l’aider à mener cette aventure dans vos métiers est irremplaçable pour le pays. Chacun a son rôle à jouer.   
La dernière chose que je voulais vous dire, qui se retrouvait dans les deux discours précédents, c’est qu’en effet, au moment que nous sommes en train de traverser, je pense que vos métiers sont plus importants encore. Vos métiers, vos passions, vos créations. Je suis résolument optimiste. Pas manque de lucidité. Par esprit de résistance. Nos sociétés sont fatiguées l’épidémie. Mais avant cela, et Husserl l’écrivait il y a presque 100 ans« La maladie principale de l’Europe est la lassitude ». Rien de pire que cette espèce d’esprit qui s’installerait, de déjà vu permanent, de lassitude d’un monde ancien où plus rien ne serait à réinventer. Ce sont dans ces mondes-là où les pires idées naissent, consistant à penser que seul le fracas, seule l’invective, seul le rejet de l’autre ou seule la fermeture seraient les véritables inventions contemporaines. Quand les vents mauvais reviennent et que ces discours s’installent, la meilleure résistance, c’est de montrer que le quotidien se réinvente le beau et ses nouveaux usages. Que les angoisses légitimes qu’ont notre jeunesse quand on le de dérèglement climatique ou d’un monde dont on ne comprend pas l’avenir se règlent in concreto des projets, des inventions. Je suis convaincu que quand le monde est fatigué et là, lui donner cette perspective, au fond, cette magie, pour reprendre le terme que Sottsass avait en lant du design, je crois que c’est essentiel.
Donc vous avez un rôle politique au sens le plus éminent du terme.
La vie dans la cité suppose de ne pas céder à la lassitude, l’habitude, mais de chercher avec audace, détermination à réinventer même chaque objet du quotidien pour le faire beau et neuf.
Pour le faire beau et lui redonner un sens. C’est vous. Donc, merci !   
Vive la République et vive la France !